Balade à deux musées

Au Bois de Boulogne, en marge du Jardin d’Acclimatation, près de la porte des Sablons, le nouveau bâtiment de la fondation Louis Vuitton, de l’architecte Franck Gehry, côtoie le Musée des Arts et Traditions Populaires, des architectes Michel Jausserand et Jean Dubuisson, datant de 1972.

Photo aérienne Google Maps de la fondation LVMH et du Musée des Arts et Traditions Populaires, en bordure du Jardin d’acclimatation

Tandis que la Fondation Louis Vuitton doit être ouverte au public en Septembre 2014, le Musée des Arts et Traditions Populaires a quant à lui été démantelé au début des années 2000, et ses collections intégrées au Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerrannée (MuCEM), ouvert en 2013 à Marseille, dans un bâtiment de Rudi Ricciotti.

Une promenade dominicale fut l’occasion de me confronter avec amusement au choc des styles, entre un bâtiment moderniste ayant servi de décor au Grand Blond avec une chaussure noire, qui aujourd’hui tombe doucement en ruines, et son voisin, un rutilant projet contemporain dans le sillage du musée Guggenheim de Bilbao, dont la dernière pierre vient tout juste d’être posée.

Image de synthèse du bâtiment de la Fondation Louis Vuitton  © LVMH / Artefactorylab

Scène du film Le Grand Blond (1972) tournée au Musée des Arts et Traditions Populaires, via culte7art.blogspot.fr

La motivation de ma balade était également photographique, profitant d’un beau soleil d’hiver pour réaliser un petit reportage. Ce sont des extraits de ce reportage que je livre ici, ainsi que quelques réflexions suscitées précisément par ma confrontation photographique avec l’architecture de ces deux musées.

Premier constat, la situation, avenue du Mahatma Gandhi, pose un problème de photogénie: le passage incessant des voitures, sans parler de celles en stationnement, parasite mes photos, et je fais de mon mieux pour les évacuer hors champ, ce qui influe  beaucoup sur le choix de mes points de vue. Effet bénéfique de ce flot automobile continu, à deux reprises, des voitures à l’incontestable facteur glamour croisent mon cadrage au moment opportun, me permettant de réaliser les deux images à mon avis les plus réussies de la série.

Fondation Louis Vuitton et voiture de sport américaine vintage, photo M-M Ozdoba

MATP et Ferrari, photo M-M Ozdoba

Abordant l’avenue depuis l’est, je me confronte en premier lieu au Musée des Arts et Traditions Populaires. Munie d’un appareil photo numérique compact, et d’une expérience bien limitée, je réalise très vite que le bâtiment est difficile à photographier. La géométrie rectiligne du MATP impose des cadrages soigneusement construits, mais en même temps les lignes droites qui organisent mes compositions se retrouvent courbées par la lentille dès lors qu’elles occupent une position périphérique dans l’image. Une fois tous ces paramètres intégrés, sans oublier l’évitement des véhicules en stationnement, poubelles et autres containers installés aux alentours du musée aujourd’hui désaffecté, je réalise quelques clichés qui me satisfont peu ou prou.

Musée des Arts et Traditions Populaires, déc. 2013, M-M Ozdoba

Musée des Arts et Traditions Populaires, déc. 2013, M-M Ozdoba

Musée des Arts et Traditions Populaires, déc. 2013, M-M Ozdoba

Musée des Arts et Traditions Populaires, déc. 2013, M-M Ozdoba

Musée des Arts et Traditions Populaires, déc. 2013, M-M Ozdoba

Musée des Arts et Traditions Populaires, déc. 2013, M-M Ozdoba

En progressant vers l’ouest, après ce passage quelque peu frustrant au MATP, je suis frappée par la silhouette à la fois diaphane et monumentale du “nuage” de Gehry, qui s’offre à mon regard pour la première fois, derrière les barricades de chantier. Le bâtiment est loin de poser les mêmes contraintes au photographe amateur que son voisin moderniste: tout fonctionne! Rien n’est vertical, ni aligné, donc il n’y a rien à redresser. Entre les jeux de transparences, les reflets, les enchevêtrements sculpturaux et quelques détails  de structure high-tech, tout est bon à prendre, que ce soit par fragments ou en entier.

Fondation Louis Vuitton, déc. 2013, M-M Ozdoba

Fondation Louis Vuitton, déc. 2013, M-M Ozdoba

Fondation Louis Vuitton, déc. 2013, M-M Ozdoba

Fondation Louis Vuitton, déc. 2013, M-M Ozdoba

Fondation Louis Vuitton, déc. 2013, M-M Ozdoba

Cette expérience m’interroge: l’esthétique du bâtiment, et en particulier sa géométrie, impose manifestement des contraintes bien différentes à la prise de vue, dans l’un et l’autre cas. Pour être mis en valeur, les prismes rectilignes de l’architecture moderne du type “style international” du MATP semblent imposer un important travail sur la composition et le cadrage, si ce n’est l’utilisation de matériel photographique professionnel permettant notamment de redresser les verticales. A l’inverse, l’architecture irrégulière du type “déconstructiviste” de la Fondation Louis Vuitton, livre sa photogénie sous tous les angles, même à l’amateur mal équipé. Dans quelle mesure cette photogénie du bâtiment, qui en fait une attraction et un trophée photographique facile, a-t-elle orienté le travail des architectes, si ce n’est le choix des commanditaires, à l’époque de la photographie connectée?

14 comments

  1. Bonjour Marie-Madeleine,
    C’est une jolie hypothèse très séduisante, mais je me demande quand même si l’on n’a pas d’un coté une architecture qui prend en compte la vision des passants, la perception que l’on aura du bâtiment en situation, et de l’autre une architecture qui s’apprécie essentiellement au travers de sa maquette.

    On a un problème de recul pour embrasser le bâtiment des Arts et Traditions Populaires dans sa globalité. On n’a pas de point de vue qui offre un recul suffisant. C’est une vision qui est réservée aux oiseaux (et à ce titre proche de la contemplation d’une maquette) en raison des arbres du bois de Boulogne qui font écran.
    Le problème c’est que les parties, les détails, les vues partielles du bâtiment ne rendent pas compte de sa totalité. On peut mettre en évidence la photogénie de détails en choisissant son angle, sa lumière et ses cadrages, mais ces détails ne rendent pas justice à la démarche de l’architecte qui ne peut être appréciée qu’au travers des volumes présentés dans leur entièreté.

    A l’inverse, dans le cas du bâtiment qui héberge la Fondation Louis Vuitton, le tout est déjà présent dans les parties. Je ne sais pas s’il existe des points de vue qui permettent d’apprécier le bâtiment dans sa globalité, mais lorsque je regarde tes photos, j’ai le sentiment que le tout est présent dans les détails. La démarche architecturale peut-être appréciée de près et à hauteur d’homme.

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  2. “Faire image” en architecture, c’est dans l’air du temps indéniablement. Encore plus aujourd’hui qu’hier ce n’est pas sûr… C’est depuis très longtemps un objectif pour tous ceux qui veulent marquer un territoire, symbolique surtout… Non ?

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  4. Tatiana goulut · · Reply

    Une architecture bling pour une époque et un client bling je ne vois rien de choquant !

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  5. @ Thierry
    J’ai fait ce billet pour partager l’expérience de ma visite, ainsi que des images de ces deux bâtiments relativement méconnus (l’un ne l’est plus, l’autre pas encore). De plus, je trouvais amusante la situation de voisinage direct de ces deux musées si représentatifs de leur époque respective, et j’avais envie de la documenter (sans compter que vraisemblablement, le MATP n’en a plus pour très longtemps).
    Nous sommes bien d’accord sur le changement du point de vue privilégié (aérien vs. piéton), entre l’architecture de Jausserand et Dubuisson, et l’architecture de Gehry, qui s’inscrit dans une évolution plus large et déjà beaucoup étudiée. Il n’y a rien d’étonnant donc à ce que le MATP soit plus dur à photographier que la Fondation LV.
    Cela dit, pour moi qui ai un goût pour l’architecture moderne, le MATP s’appréhende très bien du point de vue piéton, et j’ai beaucoup apprécié de m’y balader. Simplement, je n’ai pas pu emporter de photos satisfaisantes de cette expérience.
    Plutôt qu’un aspect secondaire, j’ai alors constaté que c’était là un aspect majeur de mon expérience de ce dimanche. Je me suis demandée du coup, si la “photographie d’architecture amateur” faisait partie aujourd’hui, plus que dans les années 1970, de l’expérience réussie d’une visite au musée.

    @ Warot, nous sommes bien d’accord. Mais les moyens de “faire image” changent, et c’est là ce qui m’intéresse.

    @T. Goulut, moi non plus, si cela peut vous rassurer.

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  6. Tu as raison. J’ai généralisé abusivement ma perception de piéton photographe au piéton. 🙂 En tant que piéton, ta perception du bâtiment est globale et se développe au cours de ta promenade. Quand je veux photographier un bâtiment, je visualise chaque point de vue comme si j’allais prendre une image qui devait fonctionner de façon isolée.

    Ceci étant, j’ai suivi ma scolarité au Lycée Claude Bernard pendant la construction du Parc des Princes. Face à l’entrée de cet établissement, il y a eu pendant tout le chantier une immense photo de la maquette (ou un dessin réaliste je ne me rappelle plus) qui présentait le stade de 3/4 en vue aérienne sans son environnement. Je me rappelle ma déception lorsque le chantier a été terminé, car je ne pouvais retrouver dans la vision de très près des montants en béton, la promesse du chantier, la forme elliptique que je trouvais élégante…

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  7. Christophe Dorny · · Reply

    Merci pour ce point de vue original ! Je ne m’étais jamais posé la question de la photogénie d’un bâtiment à notre époque telle que vous la formulez : “Dans quelle mesure cette photogénie du bâtiment, qui en fait une attraction et un trophée photographique facile, a-t-elle orienté le travail des architectes, si ce n’est le choix des commanditaires, à l’époque de la photographie connectée?”. Cependant je ne suis pas convaincu que ça soit la problématique de Frank Gehry – au regard de son oeuvre dont on peut voir un bâtiment par exemple à Paris qui abrite la cinémathèque (mais ce n’est pas le plus réussi, le moins photogénique ?)

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  8. J’ai un souvenir d’enfance très fort de ce musée dans les années 70, mon père m’y emmenait. Le soucis très moderne des proportions et l’ajustement de leur rythme provoquaient la même aisance corporelle que tu évoques dans ta déambulation. Ce qui m’intéresse c’est l’architecture et pas seulement sur un plan visuel, ce que ça provoque, très physiquement…

    Pour te répondre il me semble que ça dépend de nos désirs et de leur fluctuation. Les moyens sont-ils essentiels ?
    Ne s’agit-il pas de la qualité de notre présence ?

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  9. […] Au Bois de Boulogne, en marge du Jardin d’Acclimatation, près de la porte des Sablons, le nouveau bâtiment de la fondation Louis Vuitton, de l’architecte Franck Gehry, côtoie le Musée des Arts et Traditions Populaires, des architectes Michel Jausserand et Jean Dubuisson, datant de 1972.  […]

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  10. […] Au Bois de Boulogne, en marge du Jardin d'Acclimatation, près de la porte des Sablons, le nouveau bâtiment de la fondation Louis Vuitton, de l'architect…  […]

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  11. @ Thierry, C. Dorny, warot: Merci pour ces réflexions! Il me semble que ce qui est en jeu dans chacun de vos commentaires, c’est la distinction entre le mode d’existence “très physique” de l’architecture (pour reprendre les mots de warot), et son mode d’existence médiatique, ou simplement visuel, dans des images.
    Le premier mode, “la qualité de notre présence” dans le bâtiment, est clairement davantage valorisé que le second. C’est également celui sur lequel se concentre l’essentiel de l’enseignement, mais aussi de la critique d’architecture.
    Or loin d’être des manifestations accessoires, je pense que les représentations sont pour beaucoup dans notre perception d’un lieu, les associations qu’il suggère, notre plaisir à le fréquenter, etc. Je ne renvoie pas dos à dos ces deux modes d’existence de l’architecture, pour privilégier le médiatique, mais il convient selon moi de les penser ensemble.

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  12. Sans doute la difficulté pour photographier l’architecture comme pour tout autre sujet est de ne pas tomber dans l’imagerie proposée d’autant plus quand elle est revendiquée, on assiste aussi à cette volonté de tout montrer, englober par l’utilisation accrue de l’ultra grand angulaire ou du panoramique. Sans doute faut-il revenir non pas au détail mais au fragment, et aussi y mettre le corps du photographe, du passant, du regardeur. On pourrait d’ailleurs avoir un débat sur la perspective: la nécessité du redressement!). Je vois trop souvent le point de vue de l’objectif et du trépied. L’architecture petite ou grande, pauvre ou riche, ancienne ou contemporaine peut procurer des émotions intenses.
    Aussi je ne suis pas sûr qu’un bâtiment comme celui du MATP réclame des vues au cordeau, ni que Vuitton ne se donne facilement. L’exhubérence de ce dernier court-circuite le temps du regard et de l’émotion nécessaire à la prise de vue.
    Imaginons des êtres vivants à la place et la réalisation de leur portrait photographique, comment nous comporterions nous?
    J’aime beaucoup cette idée de “la qualité de notre présence » non seulement par rapport à l’architecture mais vis de l’autre en général. Le photographe se doit d’y réfléchir.

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  13. @Perenom La réalisation d’un portrait photographique avec un être vivant est un échange. Il y a une interaction entre le photographe et son sujet. On est dans un jeu social. Le sujet photographié a une idée de ce que devrait être son portrait ou au moins de comment on pose chez le photographe, le photographe a lui aussi une idée qu’il va devoir adapter à ce qu’il lui donne et à ce qu’il va réussir à lui voler :).
    Pour l’un comme pour l’autre cette idée de ce que serait un “bon” portrait renvoie à la société englobante et à l’image qu’ils se font ou qu’ils voudraient donner d’eux-même au travers de la photo.

    L’architecture (ou la photographie de sculpture), c’est très différent. Il n’y a pas de jeu social entre le bâtiment et le photographe.
    Par contre, comme dans le cas du portrait, l’idée que le photographe se fait d’une “bonne” photographie renvoie à l’image qu’ils se fait ou qu’ils voudraient donner de lui-même au travers de la photo.
    Le photographe peut chercher à s’effacer derrière le bâtiment, à rendre aussi transparent que possible son intervention. Chercher à montrer dans ses images la vision de l’architecte ou du sculpteur. A moins de travailler en collaboration avec les créateurs ou de connaître très bien leurs œuvres, il va essayer de s’effacer derrière des plans larges et des photos redressées.
    Inversement, le photographe peut chercher à s’approprier l’oeuvre. Jouer sur des perspectives avec un ultra grand angle, chercher des détails insolites, appliquer des effets numériques etc. Faire de l’objet de la représentation un prétexte destiné à démontrer son expertise photographique.
    Et puis se pose la question du sujet. Est-ce que son sujet c’est le bâtiment, c’est la ville où le bâtiment a été construit, ou ce sont ceux qui vivent dans cette ville et leurs interactions avec le bâtiment?

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  14. @Thierry.
    Le «  jeu social «  ne m’interesse pas et je vois bien ou il peut conduire esthétiquement, je crois à une rencontre qui va au delà, plus spirituelle et humaine, bien entendu que le social existe mais ce n’est pas un jeu ou si alors il conduit une fois de plus à l’imagerie.
    Pour l’architecture comme pour autre chose je ne suis pas photographe pour m’effacer, cela n’est pas possible pas plus que l’objectivité photographique pour autant je ne cherche pas à m’approprier le sujet à le faire mien, je n’ai pas cette tentation, développé par Tisseron, de Dieu. Je crois à la rencontre, à la retransmission de cette émotion quoique je puisse me méfier aussi du terme, il ya a un ajustemment à faire, un cadre, une distance, un respect de l’autre qui ne passe pas par l’effacement du sujet ou du photographe. Là est le travail du photographe, cette rencontre. Maintenant des termes comme expertise, insolite, effet ne sont pas dans mon vocabulaire. L’effacement par le grand angle n’est que bien souvent une absence du photographe. Tout cela reste des mots bien entendu, il y a un moment ou il faut regarder et faire avant de parler. A chacun de voir

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